Automne 2021
 – N° 1
 – Ligueil, France
Plus de produits locaux dans les restaurants scolaires ? C´est possible !
Dialogue entre Cédric Raguin éleveur de porcs de Touraine sous la marque « Roi Rose » à Draché & Ludovic Deplaix chef de cuisine au collège Maurice Genevoix de Ligueil.

Servir des repas à base de produits locaux de qualité dans les écoles, collèges et lycées n’est pas un doux rêve. Les difficultés et les barrières pour y parvenir sont réelles mais ne sont pas infranchissables. Alors que Loches Sud Touraine vient de s’engager dans un Plan Alimentaire Territorial pour développer une alimentation saine et de proximité, le journal « En Commun » a invité deux acteurs locaux concernés par cette problématique à échanger autour de cette question en nous racontant leurs pratiques.

Quelles sont vos priorités et vos contraintes en tant que chef de cuisine d’un restaurant scolaire ?

L. Deplaix : « Aujourd’hui la politique du département dans les collèges, c’est de travailler le plus possible en direct avec des producteurs locaux, et d’orienter vers le bio. Mais la priorité reste l’approvisionnement en local en créant un maillage de proximité pour réduire les échanges avec les grosses sociétés. Je suis en charge de tout l’approvisionnement, je saisis mes menus qui sont validés par ma hiérarchie. Je travaille en tenant compte de plusieurs paramètres : la loi EGalim, dont l’objectif est de favoriser une alimentation saine, sûre et durable pour tous et d’intensifier la lutte contre le gaspillage alimentaire, mais aussi les contraintes sanitaires, le respect de l’équilibre alimentaire, l’obligation de proposition de menus végétariens… »

Quel est le pourcentage de produits locaux dans votre approvisionnement ?

L. Deplaix :  « Nos politiques souhaiteraient que nous arrivions rapidement à 50 % en local. Au niveau du département, nous avons un outil de gestion de la restauration très intéressant qui nous permet de connaître nos proportions de produits locaux et bio. À Ligueil, nous sommes entre 45 et 50 % de produits locaux ou bio, mais le bio reste anecdotique. Je préfère travailler avec le local, en proximité, et avec des producteurs que je connais, s’ils sont bio, tant mieux ! Mon objectif, c’est de travailler en toute confiance avec des producteurs en proximité. »

Vous, Cédric, quels sont vos circuits de distribution ?

C. Raguin : « Aujourd’hui, nos porcs sont enlevés par la coopérative Agrial, elle fait ensuite abattre à l’abattoir de Chérancé dans la Sarthe, et ensuite c’est redistribué soit par l’abattoir lui-même en Indre-et-Loire, soit par un grossiste, la maison Giffaud, qui livre les collèges, les bouchers-charcutiers, les grandes surfaces, les salaisonniers. 70 % des porcs de Touraine sont consommés en Indre-et-Loire.
Sur l’exploitation, nous travaillons très peu en direct, mais certains producteurs dans l’association Roi Rose de Touraine dont nous sommes membres le font, comme la Maison Galland à Betz-le-Chateau. Il y a quelques années, nous nous étions posés la question de vendre en direct mais c’est très complexe pour les normes : il faut un labo, de la main-d’œuvre qualifiée pour découper l’animal et le transformer. Il aurait fallu embaucher, mais nous n’étions pas sur des volumes suffisamment importants. »

Est-ce qu’il serait envisageable de travailler directement avec le collège de Ligueil ?

C. Raguin : « Pour l’utilisation du porc c’est compliqué, car l’organisation du transport, jusqu’à l’abattoir de Bourgueil par exemple, est difficile à mettre en place pour un ou deux porcs ! Il faut emmener les cochons avec une bétaillère, aller les rechercher deux jours après avec une chambre froide. Ensuite, Ludovic ne voudra peut-être pas un porc entier, mais 10 kilos de rôti… et pour avoir ça, il faut plusieurs porcs, et ensuite, qu’est-ce qu’on fait des autres parties de l’animal : jambons, côtes et de tout ce qui sert à faire des saucisses ?

La difficulté avec des animaux consiste à trouver un équilibre matière, autrement dit à faire en sorte que chaque morceau soit valorisé. Cette notion est essentielle pour le bon fonctionnement de la filière mais aussi pour lutter contre le gaspillage alimentaire. Pour que les éleveurs approvisionnent directement le collège, il faudrait s’assurer d’avoir des commandes groupées de plusieurs établissements et avoir les moyens de découper, de transformer… Ça demande de gros investissements, et de pouvoir respecter la réglementation notamment au niveau de la chaîne du froid. »

Ça ne vous surprend pas, Ludovic ?

L. Deplaix : « Je ne suis pas du tout surpris des contraintes en termes d’approvisionnement, c’est pour ça que les grossistes arrivent à fournir les collectivités. Avec 350 demi-pensionnaires, on passe un volume de 40 kilos de viande par service. Quand on fait appel à un grossiste, il respecte le même cahier des charges que la maison Raguin, avec du porc local, d’Indre-et-Loire. »

C. Raguin : « Même sans être de Draché, ça reste du local. En Porc de Touraine, il y a des producteurs à Betz-le-Château, à Pouzay, à Saint-Epain, à Saint-Branchs, un dans le nord du département et nous. Donc il y a six producteurs de porc de Touraine en Indre-et-Loire. Un cochon, quand on l’envoie à l’abattoir, une fois qu’il est abattu il reste 93 kilos de viande sur la carcasse. Ça veut dire que si les cuisiniers veulent du sauté, il y en a peut-être 3 à 4 kilos par porc, autrement dit, il faut dix porcs pour avoir les 40 kilos de sauté dont Ludovic a besoin. »

L. Deplaix : « Travailler avec un grossiste permet de valoriser l’animal à 100 %, il y a trop de gaspillage concernant la production donc il vaut mieux s’orienter vers un circuit comme celui-ci. »

Est-ce qu’un outil de transformation de la viande en Sud Touraine changerait la donne ?

C. Raguin : « Créer un outil de transformation qui bénéficierait forcément de financements publics pourrait répondre à un besoin mais il faudrait dans ce cas disposer d’une cuisine centrale probablement à l’échelle du département qui permette d’assurer des volumes de commandes sur toutes les productions. Et je ne suis pas certain que ce soit intéressant pour les collèges qui du coup devraient se limiter à travailler avec cet éventuel outil. Et puis, est-ce que ça n’est pas réinventer quelque chose qui existe déjà dans le privé… Il ne faut pas forcément s’entêter à faire des outils avec de l’argent public quand le privé fonctionne bien et fait aussi vivre les territoires. »

« Il faut une vraie envie de cuisiner et de transmettre sa passion »

Ludovic Deplaix

L. Deplaix : « Je suis d’accord ! Nos collectivités invitent les chefs de cuisine à travailler avec du local. Dans les collèges, on a la chance de pouvoir travailler avec des grossistes comme avec des petits producteurs locaux à 10 km de l’établissement. C’est une richesse, il faut réussir à allier tout ça. La démarche du département c’est de redonner la possibilité de choisir aux cuisiniers et du sens au fonctionnement des cuisines. Depuis le 1er janvier 2020, le coût assiette a été revalorisé, donc les chefs ont une marge de manœuvre nettement supérieure. Nous avons 2,05 euros par assiette pour cuisiner alors que nous étions avant à 1,85 euros : 20 centimes en plus, c’est énorme, sur 350 demi-pensionnaires c’est 70 euros ! Ça fait la différence pour nous permettre de travailler un produit de qualité plutôt qu’un produit 1er prix.
Le secret aussi pour consommer local dans des coûts de portion peu élevés c’est de fabriquer ! C’est le nerf de
la guerre. Si on achète des produits transformés toute l’année, ce sera impossible d’être dans les 50 % de produits locaux ou bio… donc il faut une vraie envie de cuisiner et de transmettre sa passion aux équipes et aux élèves ! »

C’est vrai qu’en tant que cuisinier scolaire, vous avez aussi un rôle éducatif !

L. Deplaix : « Oui bien entendu et la cuisine c’est du lien social ! Avant le Covid, les enfants étaient invités sur des temps d’immersion en cuisine, via des « clubs cuisine ». L’année 2018-2019, j’avais réussi à accueillir 150 élèves dans la cuisine. Ils participaient à la fabrication du menu du jour, un plat en sauce, une entrée, un montage de dessert. Ils voyaient l’envers du décor et étaient sensibilisés aux notions d’approvisionnement : si c’est un producteur local, ils se disent qu’ils le connaissent, c’est très enrichissant ! Ils apprennent que le veau vient de Betz-le-Château, le taurillon de la Chapelle-Blanche, les courgettes du Foyer de Cluny… Ils mettent du sens dans les assiettes qui sont servies et, pour ce qui est du gaspillage, ça s’est ressenti ! Je pèse tous les jours les déchets, et je peux vous dire que depuis qu’il n’y a plus les clubs cuisine, leur poids a malheureusement beaucoup augmenté. »

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