Hiver 2022
 – N° 2
L´expérience citoyenne peut-elle permettre de coconstruire une politique locale de santé ?
Dans le cadre de son Contrat Local de Santé, la Communauté de Communes a impulsé l’organisation de conférences gesticulées sur le thème de la santé. Animées par l’association Nantaise l’Ardeur, ces conférences, qui prennent la forme d’un spectacle, sont une prise de parole publique construite par une personne ou un groupe à partir de leurs vécus. Deux habitants du Sud Touraine, Martine Michault et Didier Gibon font partie de cette aventure, ils nous livrent sans détour leurs expériences et nous partagent leur définition et leur vision de la santé.

Pourquoi avoir eu envie de participer à ces conférences gesticulées sur le thème de santé ?

Martine Michault : Je suis mère d’une jeune femme handicapée et j’ai voulu réfléchir avec d’autres sur mon vécu et sur le lien avec la santé. Quand j’ai vu qu’il y avait ce projet, ça m’a fait tilt ! Cela fait 35 ans que je m’intéresse à la santé, moi qui ai une enfant malade, avec une maladie qui ne pourra jamais se soigner, je me suis demandée, « qu’est-ce que c’est la santé pour elle, pour nous ? » Ça m’intéresse de réfléchir avec d’autres et aussi de faire connaître mes interrogations. Je connaissais les conférences gesticulées et l’Ardeur, avec leur principe d’éducation populaire, et je sentais que cette conception m’intéressai

Didier Gibon : C’est une amie qui m’a présenté Laetitia Chéreau, cheffe de projet santé à la Communauté de Communes, pour que je prenne la parole sur l’agriculture et la santé. Je suis passé en bio quelque temps avant la retraite car j’ai eu l’impression que d’un point de vue sanitaire, mes pratiques avaient pu être néfastes. Cela m’intéressait de témoigner.

Martine Michault : J’avais aussi envie de parler du monde du handicap qui est très mal connu. J’ai une expérience de confrontation avec le monde médical, je voulais parler de tout ça et faire la synthèse de tout ce vécu.

Comment a-t-il été possible de partager vos expériences personnelles dans le cadre d’une conférence gesticulée ?

Martine Michault : Nous partons d’anecdotes qui sont mises en commun et sélectionnées, car c’est le principe de la conférence gesticulée de partir du vécu de chacun. Moi j’ai voulu montrer comment ma fille, qui est atteinte d’une maladie génétique rare et orpheline, arrive à être en bonne santé quand même ! La santé, ce n’est pas juste ne pas avoir de maladie. Nous nous sommes donc tous interrogés sur ce que c’est « être en bonne santé » ! Cela a été le combat de toute ma vie, faire en sorte que malgré cette maladie elle puisse être bien dans sa vie, le mieux possible dans son corps, bien parmi les autres et pour moi, c’est ça la bonne santé.

Didier Gibon : C’est vrai que Martine m’a apporté un éclairage extraordinaire sur le handicap ! Honnêtement, avant, le handicap me faisait peur, et son témoignage a complètement changé mon regard. J’ai changé de paradigme.

Martine Michault : C’est intéressant, car mon deuxième combat, c’est vraiment celui-là. L’Ardeur propose des stages pour apprendre à monter une conférence gesticulée, et je rêve de trouver le courage et l’engagement nécessaire pour monter une conférence gesticulée qui mettrait l’accent sur « l’humanité » des personnes handicapées. Moi, tous les jours, je constate tous les côtés humains de ma fille et c’est ça qui me fait vivre. Et moi, je me sens aussi en bonne santé, même si c’est très lourd de vivre avec une enfant handicapée. Cette expérience menée grâce à la Communauté de Communes m’a fait grandir.

Didier Gibon, agriculteur à la retraite (Bossée) & Martine Michault, enseignante en maternelle (Tauxigny-Saint-Bauld)

Avant de vous lancer dans cette aventure, aviez-vous des appréhensions sur le fait de parler d’expériences intimes ou de vos convictions ?

Martine Michault : J’avais beaucoup d’appréhension, car je croyais qu’on attendait de moi que j’apporte du savoir dit « froid », c’est-à-dire des chiffres, des connaissances scientifiques, et je me demandais comment j’allais faire ! Mais nous avons réalisé un travail de mise en condition avec les formateurs de l’Ardeur, et très vite nous avons raconté des anecdotes sur scène. C’était passionnant d’écouter les autres et aussi de s’exprimer en faisant un effort de clarté pour se faire comprendre. Longtemps je me suis dit que si c’était ça la conférence gesticulée, raconter sa vie, ça ne me convenait pas. Et j’ai compris, lors de la dernière journée, qui nous a permis de préparer la première conférence, en quoi le vécu de chacun pouvait être enrichissant et formateur pour le public, car en amenant notre vécu, cela provoque des réactions dans le public. Et l’ensemble suscite réflexion et interrogations. C’était une expérience humaine inégalable.

Didier Gibon : Je n’avais pas d’appréhension, j’étais juste intéressé par l’expérience et j’avais une idée précise de ce que je pouvais apporter. Mais le fait de travailler en amont les conférences permet d’avoir des idées bien claires et ordonnées pour que le public l’entende bien.

Martine Michault : Effectivement, nos interventions doivent être structurées car à la fin de l’anecdote, on tente une analyse qui va faire écho ou non dans le public.

Comment avez-vous vécu l’expérience et quel a été le retour du public ?

Didier Gibon : Tout d’abord, cela m’a ouvert des portes sur d’autres sujets. Quand nous avons préparé la première conférence, il y avait une psychologue, une infirmière, un adolescent… Ils se sont exprimés sur des sujets que je ne connaissais pas, j’ai découvert beaucoup de choses

Martine Michault : Ce qui était intéressant aussi, c’est que nous sommes arrivés avec des points de vue différents et à la fin nos conclusions étaient semblables. Le monde médical, c’est un monde morcelé et qui, parfois, se déshumanise. Par des voies différentes, nous sommes arrivés au constat commun que la santé, ça n’est pas ça, et qu’on aimerait qu’il en soit autrement. Et c’est vrai que j’étais très étonnée que la Communauté de Communes prenne le risque qu’on arrive à une remise en cause du système de santé actuel. C’est bien cette initiative, et c’est rassurant.

Est-ce que cette expérience a généré des attentes vis-à-vis du rôle que la Communauté de Communes pourrait jouer dans le domaine de la santé ?


Martine Michault : Moi je ne pensais pas que la Communauté de Communes avait ce pouvoir de mettre en place des choses qui répondent aux attentes de la population et d’ailleurs la conférence se termine par un questionnement sur ce que chacun attend d’elle, et nous l’avons exprimé. De mon côté, j’aimerais qu’il y ait une instance qui permette aux parents et aux familles qui prennent en charge un enfant handicapé d’avoir plus de moyens matériels et financiers, et notamment ces mères qui se retrouvent seules pour gérer cette situation, ce qui n’a pas été mon cas, j’ai eu la chance d’avoir une famille qui ne m’a jamais lâchée. Sur le plan social, on pourrait créer un lieu d’écoute où l’on accueille ces personnes quand elles sont en détresse ou même avant !

Didier Gibon : Je retiens aussi l’idée de Camille (une autre participante) de maison de santé communautaire, d’un lieu qui permettrait d’échanger, au-delà de la consultation médicale. Cela permettrait d’avoir un autre regard sur les soins, et de sortir de la solitude que connaissent parfois les personnes malades.

Martine Michault : L’idée serait que les malades se sentent mieux. Le rôle d’une Communauté de Communes serait par exemple de compenser la difficulté vécue par des personnes malades ou dans une situation de précarité. J’imagine un lieu périphérique autour d’un pôle médical.

Que vous a apporté cette expérience d’un point de vue personnel et croyez-vous dans son rôle social et politique au niveau d’un territoire ?

Martine Michault : Cela m’a permis d’organiser des choses que je ressentais. J’ai pu mettre en commun mon expérience et ma pensée. Et ça m’a ouvert des perspectives. Cela m’a aussi donné la parole, c’était une forme de reconnaissance pour ma fille et moi, et également une expérience humaine très riche. Et puis j’ai aussi envie de m’intéresser davantage à la Communauté de Communes.

Didier Gibon : J’ai découvert la santé dans sa globalité. J’ai pu m’exprimer sur l’importance de la prévention, dans mon domaine, mais pas seulement. Si on peut le faire la prochaine fois devant une centaine de personnes, la portée sera encore plus forte !

Martine Michault : Après les deux conférences, tout le monde est resté à la fin pour discuter et s’exprimer dans un échange très joyeux. Je crois que c’est parce que le public a cheminé avec nous, le spectacle a ému mais il a aussi déclenché des réflexions et fait bouger les lignes. L’éducation populaire n’est pas un vain mot, c’est une super méthode, on parle d’humain à humain et ce thème de la santé concerne absolument tout le monde ! La Communauté de Communes invite les gens à réfléchir et il ne faut pas s’en priver. Réfléchir ensemble permet de faire bouger les choses !



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