C’est quoi l’agroforesterie ?
«Mode d’exploitation des terres agricoles associant des plantations d’arbres dans ou au pourtour des cultures ou des pâturages. » Telle est la définition de l’agroforesterie donnée dans le Plan national de développement du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. En France, ce mode de culture se développe dans le bocage, au cœur de parcelles cultivées, dans les prairies ou les vergers. En Sud Touraine, les agriculteurs engagés dans cette voie semblent davantage se tourner vers la plantation de
haies ou de lignes d’arbres à l’intérieur d’une parcelle cultivée.
Produire du bois d’œuvre
Jean-Baptiste Jamin est à la tête d’une ferme de 80 ha sur Loches. Avec sa compagne Hélène Gillard et leur associé Julien Gwizdek, ils y produisent une quinzaine de céréales différentes ; une partie étant transformées sur place sous forme de farine, de pain et biscuits. Le 5 février dernier, le collectif « Aux arbres & cætera » animé par le collectif SEPANT et InPACT 37 y plantait 316 mètres de haies au sein de l’une de leurs parcelles de céréales. « Il s’agissait d’une troisième tranche entre nos parcelles destinée à servir de brise-vent et d’espace de circulation de la faune sauvage. » L’objectif : y intégrer une douzaine d’essences différentes, certaines destinées à produire du bois d’œuvre. Une autre est également prévue sur une parcelle proche de la ferme. Dès 2013, 1,6 km de haies avaient déjà été plantées à Azay-sur-Indre dans le cadre du programme départemental intitulé « L’arbre dans le paysage rural de Touraine ». La production de bois d’œuvre est dans le viseur de Jean-Baptiste Jamin depuis un moment.
Merisier, châtaigner ou robinier faux-acacia, il parie sur l’avenir en prévoyant que demain le béton ne sera pas toujours l’alpha et l’oméga de la construction.
Protéger notre environnement
A l’inverse, c’est à une promesse du passé que Frédéric Gervais souhaite rendre hommage.
Producteur laitier sur sa ferme de 84 ha à Vou, ce dernier a pour objectif « d’aller vers l’autonomie ».
Le passage par l’agroforesterie fait partie de ce processus. « Cela fait 15 ans que j’y pense. Il est
temps d’aller au bout de mon projet. » Une première plantation de 3 km de haies l’a laissé sur sa faim,
faute de temps pour l’entretenir dans les règles de l’art. « Je me suis laissé déborder. » Désormais
conseillé par Christophe Sotteau, Frédéric Gervais souhaite « apporter une petite pierre à l’édifice » pour protéger notre environnement en offrant de l’ombrage et un brise vent aux vaches dans les pâturages. Une plantation entre des parcelles est également envisagée sur le versant de Ciran. Et pour préserver ses efforts, Frédéric Gervais souhaite que le futur acquéreur maintienne les haies et les futurs arbres.
« Je n’étais pas formée pour cela »
Marie-Claire Pineau, à la tête de la SARL L’œuf bio de Touraine à Manthelan, a fait le choix de l’agroforesterie dès 2012 avec son mari Thierry Desplat, décédé depuis.Cette éleveuse de poules pondeuses et productrice de céréales fait presque figure de vétérante. « Nous étions un peu précurseurs à l’époque en plantant huit rangs d’arbres espacés d’une douzaine de mètres sur environ six hectares non drainés, et donc difficiles à cultiver. Mon mari y avait installé des chênes rouges, des alisiers, des poiriers et pommiers, des pruniers, etc. »
Et le bilan ? « Difficile à dire car c’est une zone très humide. Nous avons tout essayé sur cette parcelle :
tournesol, trèfle, blé, ainsi que des pois et féveroles en 2022. Cela demande beaucoup d’entretien, donc
du temps, et je n’étais pas formée pour cela. » Sans compter les dégâts occasionnés par le gibier. Résultat : une grande hétérogénéité de croissance… Et les poules dans tout ça ? Elles aussi ont eu leurs arbres,
essentiellement des fruitiers : « Une obligation en élevage biologique, car un terrain ombragé les incite à
sortir. »
Une solution pour améliorer la qualité de l’eau
Le Contrat Territorial du bassin de l’Esves signé notamment par la Communauté de Communes et l’Agence de l’eau Loire Bretagne inclut l’agroforesterie comme l’une des solutions pour préserver la qualité de l’eau sur ce secteur.
« C’est une zone test qui a vocation à être étendue à d’autres bassins » explique Guillaume Guérineau, animateur eau et environnement à Loches Sud Touraine. Christophe Sotteau, expert indépendant membre de l’association nationale AFAC-Agroforesteries, accompagne la Communauté de Communes sur ce sujet. Depuis début 2020, il informe et forme les élus et les agriculteurs du Sud Touraine sur l’intérêt de l’agroforesterie pour le bassin versant, et plus largement pour le territoire communautaire. Deux projets sont engagés sur le bassin de l’Esves, dont celui porté par Frédéric Gervais à Vou. D’autres sont en gestation. N’hésitez pas à contacter Guillaume Guérineau et les services de la Communauté de Communes pour être accompagné et connaître les subventions dont vous pourriez bénéficier.
Biodiversité et rendement font bon ménage
Comment le monde agricole perçoit-il l’agroforesterie ?
Christophe Sotteau : depuis 6 ou 7 ans, le changement climatique a fait évoluer les mentalités. Tous constatent que le système agricole est de moins en moins résilient et aussi moins rentable. Il devient difficile de s’en sortir sans les aides de la Politique Agricole Commune. Les agriculteurs ne sont pas contre
le changement, mais un temps de latence de 5 à 10 ans sera nécessaire pour toucher la majorité. Il faut aussi compter sur la pression sociétale et l’installation de jeunes dans les fermes pour faire bouger les choses. Sur les financements publics aussi. En Région Centre Val de Loire, 4,5 M€ sur les 45 M€ apportés
dans le cadre du Plan France Relance ont été consommés en une année entre 2020 et 2021,
pour 15 % en information collective et le reste en plantation.
Justement quelle est l’implication des pouvoirs publics ?
Christophe Sotteau : aujourd’hui, les pouvoirs publics admettent que l’agroforesterie est une solution pour accroitre la biodiversité, agir en faveur de la qualité de l’eau, de l’air et préserver nos paysages. Historiquement, il y a une très forte dynamique initiée par le Conseil départemental. Dans le Sud Touraine,
l’implication de Loches Sud Touraine est essentielle en matière de sensibilisation, de formation et d’accompagnement des agriculteurs qui entament cette démarche de plantation de haies ou d’intraparcellaire. De mon côté, je les conseille au cours de toutes les étapes : sensibilisation aux avantages et aux inconvénients, formation relative aux contraintes techniques, aux types de
plantations en fonction des sols, etc. C’est un accompagnement à la carte sur une longue
durée en fonction des pratiques agricoles de chaque exploitation.
Quels retours peut-on attendre en s’engageant dans cette voie ?
Christophe Sotteau : d’abord, il faut parvenir à se projeter dans 50 ou 60 ans. Au bout de 4 à 5
ans, on constate un retour de la biodiversité : insectes auxiliaires de culture contre les prédateurs, filtration de l’eau… Dans le Sud de la France, on a pu constater une amélioration de la productivité de l’ordre de 40 %. Ici, le coût moyen de plantations entre les parcelles est évalué entre 1 500 et 2 000 € à l’hectare tout compris. Et les subventions peuvent couvrir jusqu’à 80 à 100 % de l’accompagnement et
de l’investissement !
Je veux planter une haie chez moi !
Le Département d’Indre-et-Loire, avec la Fédération départementale des chasseurs, apporte conseils techniques et aides financières pour les projets de plantation de haies, à destination des
particuliers, agriculteurs, collectivités locales, entreprises.